Membre du mythique duo Chiens de Paille, Sako est certainement la référence en termes d’écriture mélancolique. L’auteur de « Comme un aimant » et « Maudit soient les yeux fermés », deux classiques hexagonaux, revient en 2021 avec M.E.T.A. Cet album s’annonce magnifique par sa conception simpliste et nous vous proposons de bien l’aborder dans cet entretien.

Tu as surmonté des épreuves difficiles avec les maisons de disques au cours de ta carrière. Que penses-tu de leur impact aujourd’hui ?

On n’est pas destiné à l’entreprenariat quand on se lance dans le rap. On devient entrepreneur par dépit. Il faut donc apprendre à devenir son propre patron, son propre éditeur et producteur car souvent on se heurte dans les maisons de disques à des gens qui ne sont pas familiers avec notre culture. Ces derniers ne produisent alors pas d’effort pour la développer. Je parle pour le passé car maintenant le rap est devenu la musique numéro un au monde et certains acteurs des labels sont issus de cette culture et peuvent donc la promouvoir.

Moi j’appartiens à une ancienne génération qui a essuyé les plâtres de tout cela. C’est à dire que l’on s’est confronté à des gens dont la culture était complètement opposée. Il fallait trouver des terrains d’entente, un langage commun pour réussir à monter un projet, ce qui était généralement une mission impossible. C’est pour cela que de nombreux rappeurs dans les années 90 ont pris des initiatives personnelles afin d’avancer.

Certains sont donc devenus indépendant pour faire exister le rap sans compter sur les circuits classiques des maisons de disques. C’est là qu’apparaît une difficulté complémentaire à celle de réaliser sa musique. Je parle de gérer sa boîte, de trouver des financements, des partenaires et même d’adopter un langage avec des banquiers, ce qui n’est pas facile quand on se lance dans la musique. Il y a aussi maintenant des gens de maisons de disques qui te classent comme rappeur « vintage » et qui n’ont besoin que de jeunes.

C’est bien différent aux states avec des artistes comme Nas ou Jay-Z qui signent encore des gros contrats. Des producteurs comme Swizz Beats ou Timbaland prennent le business en main pour former les jeunes et assurer le futur. Nous en France, on est tout à l’opposé. Cette culture à aujourd’hui tendance à oublier ses pionniers. Je peut te prendre comme exemple Koba la D qui ne connaissait pas IAM. Il a le droit de ne pas connaître mais le passage de flambeau ne s’est pas bien effectué.

Tu as pu collaborer avec des légendes du rap américain comme RZA, comment as-tu vécu ces expériences ?

Pour moi c’étaient des accomplissements. J’ai fait la première partie de Nas le jour de mes 30 ans grâce à mon label. Il s’agissait à l’époque de 361 records, le label de Akhenaton qui savait l’amour que je portais au travail de Nas. Il ont organisé une rencontre avec lui et nous avons échangé. C’est comme si demain tu es un étudiant en cinéma et on t’annonce que tu vas passer la soirée avec Spielberg. Cela te fait gagner des années. J’ai aussi pu travailler une semaine dans un studio avec RZA et Reakwon ou encore Shabazz the Disciple. J’ai passé 3 jours avec Smif-n-Wessun en Suisse et j’ai vu DJ Evil Dee composer un beat. Assister à toutes leurs méthodes de travail m’a fait gagner beaucoup de points.

C’est quoi tes disques ultimes de rap ?

Dans le rap Américain si je devais en garder quelques uns je prendrais Life After Death de The Notorious B.I.G, The blueprint de Jay-Z, Tha Carter III de Lil Wayne mais aussi son album avec Birdman Like Father, Like Son, Roots of Evil de Kool G Rap, IAM de Nas, Like Water for Chocolate de Common. Sur la côte ouest je te dirais It’s a Compton Thang de CMW et dans le sud The Diary de Scarface.

C’est très dur de régénérer tous ces albums. Tout ceux que je viens de te citer ont influencé ma musique et je peux encore en citer comme Trill O.G de Bun B et la Three-6-Mafia car ce sont eux qui m’ont fait comprendre l’importance de la mélodie dans la musique. Nas m’a fait comprendre l’importance de raconter une histoire à travers la musique, Common fut important pour la variété des thèmes dans ma musique et Lil Wayne m’a appris a gérer mon silence dans mes flows.

Quel est ton avis sur les nouveaux mouvements rap nés dans la décennie ?

Le rap est une musique qui se révolutionne tous les 6 mois depuis 30 ans. A partir du moment où tu cesses de suivre, c’est là que tu vieillis. Moi je me penche énormément sur le travail de Kalash Criminel car je trouve que c’est un très bon rappeur conscient. Il allie la modernité dans ses prods au classicisme des années 90 et j’aime ça. C’est un artiste que j’écoute, c’est à dire que j’étudie sa façon de travailler. Les artistes que j’entends sont ceux dont le travail et le succès méritent mon attention, même s’ils ne touchent pas mon âme.

Parlons maintenant de ton album. Que signifie M.E.T.A pour commencer ?

Il y a plusieurs significations. Comme je te le disais on est dans une industrie où on ne veut plus entendre parler de toi après tes 25 ans. J’ai donc voulu assumer mon âge avec Meta qui signifie en grec : au dessus de, en parallèle de ou à la recherche de. En parallèle car on est plus intéressé avec C.Hi (son producteur) par la recherche musicale que par l’industrie. Ensuite, on est des pères de familles donc a voulu des Musiques Et Thème Adultes qui forme donc M.E.T.A.

On aime aussi voyager à travers la musique et on voulait que la nôtre soit la plus simple possible. Tu remarqueras qu’il y a très peu d’éléments dans les prods et qu’il n’y a pas de backs dans les couplets. Ce qui rend la musique la plus pure possible. On voulait donc un moyen d’évasion pour tous et de la Matière Explosive pour Trafiquants d’Âmes, qui forme également M.E.T.A.

J’ai été surpris par la direction musicale de ton album que j’ai trouvé très bien réalisé avec son aspect confessoire et ses instrumentales reposantes. Pourquoi avoir choisi cette voix ?

On voulait vraiment que la musique passe au mieux le temps. Quand un morceau est inscrit dans son temps, ce sont ses arrangements qui en sont à l’origine. Ces derniers représentent en effet une époque et une fois qu’elle est révolue, il ne passe pas le temps. On a donc voulu prendre très peu d’éléments dans la musique actuelle. Il n’y a pas de caisses claires, de TR 808 ni de Drill même si un des morceaux s’en rapproche. Je parle du dernier titre que je viens de faire avec Aketo et qui sera rajouté à l’album. C’est pour cela qu’on a repoussé la date de sortie d’ailleurs.

On est resté dans les tendances les plus neutres possibles et cohérentes pour donner à l’album le plus de chance de passer les époques. Il fallait une musique simple dans sa forme et c’était un véritable défi. Le fait d’ajouter des silences, limiter mes flows a été une nouveauté. Je croyais que c’était à la musique de s’adapter à mon flow auparavant mais c’est tout l’inverse. La musique est comme une vague que tu surfes, c’est elle qui impose son rythme. L’écriture est aussi complexifié car supprimer des mots exige une sélection méticuleuse des paroles. Dans le résultat final, l’album s’écoute facilement et reste dans la tête des gens.

Tu as toujours exprimé ta mélancolie à travers tes albums avec des textes très engagés. Cet album est cependant plus tourné vers l’espoir. Est-ce que tu as changé ta façon de voir les choses dans le monde ?

Le truc c’est qu’on grandit. Si tu fais les mêmes morceaux à 40 ans que quand tu t’en avais 20, tu as perdu un temps de ta vie. On a vécu, rencontré des gens, ressenti des choses et c’est pour cela que je n’aime pas sortir des choses fréquemment. Je pense que pour qu’un disque est un intérêt, il faut que son auteur ait un vécu qui transparaisse dans sa musique. Le fait de devenir père fait évoluer ta vision du monde et aujourd’hui je vis une des pires périodes depuis ma naissance. Mais c’est une situation compliqué et non perdu.

On a donc le devoir de dire aux jeunes beaucoup de choses positives. Il y a de nouveaux problèmes mais aussi de nouvelles armes. Certes ce n’est pas l’idéal mais maintenant c’est le monde dans lequel on vit et il faut faire avec. Que tu passes ta vie à pleurer ou à rire elle sera toujours aussi longue.

Est ce que ta vie de père impacte sur ta musique ?

Ma musique n’est pas impactée mais approfondie. Avant d’être père, je faisait déjà attention à ce que je disais car j’ai toujours eu la chance d’être écouté et entendu par les gens. Mes propos ont donc un écho et avant j’étais écouté par des jeunes comme mon petit frère. Je n’avait pas envie de lui glisser des idées dans sa tête que je ne supporterais pas moi même d’entendre, donc j’ai toujours porté de l’attention à cela. C’est pour ça que je ne me suis pas autorisé des textes ego-trip, voire malveillant car ils peuvent être mal interprétés. En devenant père, j’ai encore plus approfondi cela. Je n’ai pas envie que mes filles ne me reconnaissent pas en entendant mes paroles.

Comment analyse tu ta relation avec Akhenaton après tant d’années passées ensemble ?

Ce sera toujours mon pygmalion. C’est lui qui m’a mis en lumière. J’étais parti le voir pour avoir son avis, il m’a donner une exposition. Il m’a dit que c’était possible de toucher ses rêves. Il a vraiment été plus qu’un soutien dans ma musique. Cela fait 10 ans que j’ai monté mes boîtes et que ne travaille plus avec La Cosca et pour autant il est toujours là. C’est lui qui a fait la préface de mon livre, il est présent sur M.E.T.A en featuring.

Son frère et lui avait même à l’époque hypothéqué sa maison pour financer l’album de mon duo. Qui fait ça aujourd’hui ? Même une famille le fait très rarement. Les risques qu’il a pris pour moi ont donc été considérables sachant que le premier album de Chiens de Pailles ne fut pas un succès commercial. C’est ma plus grande tristesse par rapport à notre relation. Malgré cela, cet album est considéré comme un classique et côte à 350 euros dans les stores de vinyles. Il y aussi des artistes comme Ademo de PNL qui cite l’album comme référence et ça prouve la qualité de notre travail. Ce n’est pas un succès commercial mais un succès culturel en fin de compte.

Dans un des morceaux de M.E.T.A tu cites « Je veux devenir celui que j’ai toujours voulu être ». Qui est-ce ?

J’étais voué à être un bagagiste dans un hôtel, mes options d’avenir étaient donc assez restreintes. Je ne suis pas dans le fatalisme mais dans le déterminisme. Je pars du principe que tous les choix qu’ont fait font évoluer notre situation. Et puis je viens d’une famille d’ouvrier qui a travaillé dur pour gagner sa vie donc mon destin n’était pas d’être dans la lumière. Jamais je n’aurai imaginer la vie que j’ai finalement obtenu. Chaque jour passé dans cette industrie, c’est un jour de gagné. En fin de compte, celui que j’ai toujours voulu être c’est déjà ce que je suis. C’est même au delà.